"Où sont les neiges d'antan ? Brève histoire de la perception du froid"
[A brief attempt to historicise the perception of the cold]
Anouchka Vasak est maîtresse de conférences en littérature française. Ses travaux, au croisement de la littérature, de l'histoire et de l'esthétique, portent principalement sur la météorologie et le climat, en particulier sur les nuages et les météores, entre Lumières et romantisme. Elle a également publié deux livres d'histoire du climat avec Emmanuel Le Roy Ladurie et participé à des ouvrages dirigés par Alain Corbin, comme l'Histoire des émotions (Seuil, 2016) ou une Histoire des sensibilités (A. Corbin et H. Mazurel dir., PUF, 2022). Dernier livre paru : 1797. Pour une histoire météore (Anamosa, 2022).
Anouchka Vasak is a lecturer in French literature. Her work, at the crossroads of literature, history and aesthetics, focuses mainly on meteorology and climate, in particular clouds and meteors between the Enlightenment and Romanticism. She has also published two books on history of climate with Emmanuel Le Roy Ladurie and contributed to works edited by Alain Corbin, such as Histoire des émotions (Seuil, 2016) and Histoire des sensibilités (A. Corbin and H. Mazurel dir., PUF, 2022). Latest book: 1797. Pour une histoire météore (Anamosa, 2022).
Abstract:
La fin de « nos » hivers et de « nos » Noëls blancs, la disparition de la banquise, fixée par l'image-cliché de l'ours blanc sur son pauvre glaçon, est un des aspects de ce qu'on appelle la solastalgie, concept désormais acquis pour exprimer le sentiment collectif de mélancolie ou de tristesse face aux effets du réchauffement climatique. Aujourd'hui le froid, denrée rare du système climatique, est valorisé : on met en avant ses bienfaits en particulier sur les cultures. On voudrait revenir ici sur les hivers du passé, tels que l'histoire (du climat, de l'art aussi) les a consignés. Les hivers blancs sont certes l'occasion, à travers notamment la peinture hollandaise, d'une exaltation des « plaisirs de glace » (A. Metzger) désormais disparus : cette exaltation participe d'ailleurs, dans ce cas, de la construction d'un mythe identitaire. Mais revenir sur les grands hivers du passé, comme celui de 1709, nous permet de prendre la mesure de leur effet funeste sur les populations : Emmanuel Le Roy Ladurie, Marcel Lachiver ou Christian Pfister l'ont bien montré pour la sphère européenne. Si certains des effets de ces grands hivers, rapportés par les témoins du temps, nous fascinent par leur quasi-exotisme, voire nous émerveillent, il ne faut pas oublier les souffrances et les désastres qu'ils entraînèrent. Cette mise en perspective historique nous invite, sans nostalgie ni remise en question du réchauffement climatique, à une réflexion sur l'hiver et le froid tels qu'ils demeurent aujourd'hui. Le froid, pour relatif qu'il soit – il ne fait d'ailleurs pas l'objet d'une définition « scientifique » –, pour bénéfique qu'il puisse être, continue de laisser sur le carreau les bannis de nos sociétés.
The end of 'our' winters and 'our' white Christmases, the disappearance of the ice pack, fixed by the cliché image of the polar bear on its poor ice cube, is one aspect of what is known as solastalgia, a concept that has now been adopted to express the collective feeling of melancholy or sadness in the face of the effects of global warming. Today, cold, as a rare commodity in the climate system, is valued and its benefits, particularly for crops, are highlighted. We'd like to take a look back at the winters of the past, as recorded by history (history of climate, and history of art). White winters are certainly an opportunity, particularly in Dutch painting, to exalt the "pleasures of ice" (A. Metzger), which have now disappeared: in this case, this exaltation is part of the construction of an identity myth. But revisiting the great winters of the past, such as that of 1709, allows us to take the measure of their disastrous effect on populations: Emmanuel Le Roy Ladurie, Marcel Lachiver, Christian Pfister have clearly shown this for the European sphere. If some of the effects of these great winters, as reported by the witnesses of the time, fascinate us by their almost exoticism, or even fill us with wonder, we must not forget the suffering and disasters that they caused. This historical perspective invites us, without nostalgia or doubting about global warming, to reflect on winter and the cold as they remain today. The cold, however relative it may be – actually there is no scientific definition of it –, however beneficial it may be, still leaves the outcasts of our societies in the cold.